Gilles Rochier continue sa fresque au sein du quartier. Avec « Faut faire le million », il reprend son personnage autofictif et percute le lecteur avec la précarité, avec l’espoir qui s’amenuise en vieillissant, et sa dépression. Rudesse graphique et finesse d’écriture y font se rejoindre malaise social et mal-être psychologique.

Gilles Rochier a commencé avec Temps mort paru en 2008 une série qui parle de lui, de son quartier, de ses copains et de la merditude des choses. Plus tard avec TMLP (Ta mère la pute) (2011) – pour lequel il reçoit le Prix Révélation au Festival d’Angoulême 2012 – puis plus récemment avec La Petite Couronne (2017), il a dépeint des personnages attachants, infiniment humains, se dépatouillant avec leurs conditions de vie, leurs fragilités et les chemins inexorablement tracés devant eux. Publié dans la collection Monotrème des Éditions Six Pieds sous terre, qui fêtent leurs trente ans en 2022, Gilles Rochier colle à une ligne éditoriale attachée à une fiction souvent très ancrée dans le réel.

Faut faire le million - Par Gilles Rochier - Six Pieds sous terre
© Gilles Rochier / 6 Pieds sous terre
Faut faire le million © Gilles Rochier / 6 Pieds sous terre 2022

Dans Faut faire le million, on retrouve Gilles entre colère et amertume, se plaignant de sa condition, se révoltant même, face à elle, mais constatant aussi qu’il n’a de prise sur rien. Alors, il gratte les tickets de loterie comme si c’était le joker ultime, n’y croyant pas vraiment non plus.

Faut faire le million © Gilles Rochier / 6 Pieds sous terre 2022

C’est lorsqu’il apprend le décès de son vieil ami David dans de sinistres conditions que le monde lui apparaît encore plus violent que ce qu’il constatait déjà. Face à la mort, et possiblement face à sa mort, Gilles lutte avec le peu de ressources qui lui restent.

Dans la série qu’il a construite, Faut faire le million est probablement l’album le plus dur, âpre, entre dépression du narrateur-auteur et réactions face à sa condition et celle de tous les précaires, entre colère et désillusion. Il dessine le tout avec un trait rugueux et anguleux, parfois même rêche, semblant dire « qui s’y frotte s’y pique ». Pour la couleur, il nous sert un très beau monochrome de bleus symbolisant parfaitement le blues ambiant.

Faut faire le million © Gilles Rochier / 6 Pieds sous terre 2022

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