Marcello-Quintanilha interview

Interview de Marcello Quintanilha

A l’occasion de la venue de Marcello Quintanilha au Mans, à la librairie Bulle, j’ai eu la chance de pouvoir poser 3 questions à l’auteur Brésilien, récompensé cette année 2022 par le fauve d’or du meilleur album à Angoulême pour Ecoute, jolie Marcia publié aux éditions ça et là.

Ecoute-jolie-Marcia-couv

Article à retrouver ici

https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/le-mans-72000/le-mans-l-auteur-de-bd-marcello-quintanilha-en-dedicace-chez-bulle-91189b6c-ba6e-11ec-a1d8-0c0cfe1d1b39

La Bibliophage Interview de Romain Renard

Interview de Romain Renard

Enretien réalisé par Hélène (H) et moi-même (L) en 2017 pour le magasine Pause

ROMAIN RENARD, LA NARRATION SANS LIMITE

Auteur de BD, musicien, scénographe et comédien amateur belge, Romain Renard repousse sans cesse les limites des cases pour ne pas s’enfermer dans l’une d’elles. Aimant se risquer à la nouveauté et aux mélanges des genres, il crée l’histoire de Samuel Beauclair, personnage vivant à Melvile, bande dessinée éponyme sortie en 2013 chez Casterman.

Dans le premier tome de Melvile, le lecteur suit le personnage de Samuel Beauclair qui vit avec Sarah, sa compagne enceinte, et tente, tant bien que mal, d’achever l’écriture de son roman. Au cours d’une sortie en ville, il tombe sur la petite annonce de quelqu’un qui cherche une aide pour repeindre sa maison. Samuel fait ainsi la connaissance de Dave et de sa sœur, Rachel avec qui il passe de plus en plus du temps délaissant sa femme et son livre. Melvile n’est pas qu’une œuvre plastique scénarisée et dessinée par Romain Renard, l’auteur y a incorporé une bande son qu’il a lui même composée et interprétée. C’est aussi un spectacle dans lequel cette dernière est jouée et interprétée en live sur scène pendant que les dessins sont projetés. C’est également une application numérique qui cherche à renouveler l’expérience de lecture, prenant le temps d’expliquer le processus de travail et ses différentes étapes. Elle enrichit la BD et le lecteur. Le tome deux sort en janvier 2016 et Romain Renard pousse encore plus loin l’idée de raconter une histoire sur plusieurs supports.

Rencontre.

H : Comment êtes-vous venus à la BD ?

R : J’ai fait une formation de bédéiste, trois ans à Saint Luc à Bruxelles, en spécialité BD. C’est pas vraiment avec les profs d’ateliers que j’ai avancé. C’est surtout avec mon extraordinaire prof de scénario qui nous montrait les fins de film pour les démystifier et en comprendre les ressorts a posteriori. Tu te concentres donc sur les plans, le découpage. Mes cours de sémiologie et de sémantique sur le rapport à l’écrit, et sur le choix de narrateur ont été importants aussi. Pour le dessin, j’étais loin d’être le meilleur, et à la base je ne pensais pas faire de la BD. Je voulais faire une école de cinéma. C’est François Schuiten (ndlr : auteur, entre autres, de la série « les Cités obscures ») qui m’a conseillé d’y aller. J’avais des réticences vis-à-vis de mon père (ndlr : Claude Renard, dessinateur belge renommé) et il m’a dit “va voir, va apprendre”.

En milieu de deuxième année, j’ai eu un déclic en faisant de l’illustration pour Série Noire, une collection polar pour enfants. Cela m’a éloigné de mes références, mon père et Schuiten, et j’ai pris du plaisir à dessiner. Et Petit à petit, avec les rencontres à Saint Luc, je suis sorti de mes plates bandes en lecture (j’étais un amateur de Moebius), et je suis allé vers Götting, qui travaille au fusain, Pellejero avec Le silence de Malka. Ce sont les livres qui ont ouvert mon panel.


Et par rapport à la narration, un livre qui a une énorme importance pour moi, c’est L’homme qui marche de Taniguchi. Lire une histoire où il ne se passe rien, que de l’introspection. J’ai jamais oublié ce bouquin. En finissant Melvile, je me suis rendu compte que j’y faisais référence inconsciemment.

L : Vous avez commencé chez Casterman et déjà il y a une nette évolution graphique et scénaristique entre vos trois premiers ouvrages American Season, Jim Morrison et Un Hiver de Glace.


R : Je considère que mon vrai premier bouquin est Un Hiver de glace. C’est là où je me suis senti à l’aise dans la BD. Le trait se lâche, il y a de la matière et surtout une pagination plus large qui m’a permise de faire la mise en scène que je souhaitais. Le texte du roman de Daniel Woodrell m’a pris par la main. J’ai pu faire mes armes sur le texte de quelqu’un d’autre avant de commencer à faire mes propres scénarios. Ça a été le déclencheur de plein plein de choses pour moi. Ça a amplifié mon goût pour la littérature américaine et c’est comme ça aussi que j’ai débuté les vidéos, en faisant des bandes annonces pour Un Hiver de glace.

H : Avez-vous choisi ce roman policier ou vous l’a-t-on imposé ?
R : J’aurai du faire partie de la première salve de Rivages noirs. J’étais sur une autre série pour laquelle j’avais fait tout un travail préparatoire sur Cuba. Et on m’a proposé d’illustrer le bouquin Adios Muchachos de Daniel Chavarria. Mais je n’étais pas emballé par l’histoire et il y avait beaucoup de choses compliquées à dessiner. Plus tard, mon éditrice m’a relancé pour me demander si finalement j’étais intéressé pour faire un titre dans Rivages noirs. A ce moment-là, j’avais envie de travailler sur la moiteur, le rugueux… Alors, je suis reparti avec quatre/cinq bouquins que François Guérif, l’éditeur de la collection, m’a mis entre les mains. Et en lisant Un Hiver de glace, je voyais le découpage. Pourtant, mon éditrice m’a dit “mais il se passe rien dans celui-là”. C’est justement ce qui m’a plu.

L : Vous racontez des histoires sur tous les supports mais vous fixez-vous des limites ?
R: Pour l’instant, non. J’ai envie de faire des courts-métrages. Je ne dis pas que je n’y suis pas à ma place mais c’est une temporalité autre que de faire un livre parce qu’on passe plus de temps à trouver des financements que sur un plateau. J’aimerai faire ça plus tard. Pour raconter encore d’une autre manière. Je suis un grand fan de Terence Malick. J’aime travailler sur des atmosphères comme lui, et je suis aujourd’hui limité à certains endroits dans le dessin. Il y a des ambiances qui pourraient passer plus facilement en vidéo.

H : Melvile est-elle inspirée de plusieurs lieux ?
R : Oui. Je venais d’ illustrer un Lonely Planet sur Montréal et Québec. C’est un excellent souvenir de voyage. J’en suis revenu avec plein de documentation que j’ai mélangé avec mes recherches pour Un Hiver de Glace. Je m’étais rendu dans les Ozarks, une chaîne de montagnes entre l’Arkansas et le Missouri, où personne ne va. Melvile c’est un mélange de tout ça.

Le Lonely est essentiel parce que c’est là que j’ai expérimenté la technique du fusain encre coloré.

Un hiver de glace était à l’encre. Je ne voulais pas que le guide soit uniquement un carnet de croquis, j’ai donc fait plein de tests. Et puis comme souvent, il y a eu un accident. Je travaillais au feutre et « par erreur» j’ai mis un peu de fusain. J’ai trouvé le résultat intéressant. Alors j’ai tout refait tout avec cette technique, qui est en plus très rapide. Je n’avais que trois mois pour réaliser ce boulot. Le fusain a également l’avantage de la largeur, c’est-à-dire de travailler à la fois la précision et le flou.

H : La couleur, principalement la sépia, et la lumière sont très spécifiques dans Melvile. Comment
les avez-vous travaillées ?

R : Je les ai bossées en deux temps. En noir et blanc d’abord paradoxalement. J’ai travaillé toutes les matières au fusain, enfin… un mélange de feutre et de fusain. Et après, j’ai colorisé le tout numériquement. Il y a beaucoup d’infos dans la matière du fusain. La colorisation ne doit donc pas être trop réaliste, sinon on a un souci de lisibilité de l’image. D’où le choix de ce sépia.

L : Cela ressemble à de la photo ancienne, avec le grain et la matière. Est-ce voulu ?
R : L’ajout est volontaire, oui. C’est ce que permet le fusain. J’ajoute du grain car j’aime bien le bruit, l’électricité statique et la résonance. Ce bruit constant qui est là et qui filtre la réalité. Ça donne une atmosphère, une espèce de brouillard permanent qui se dévoile au fur et à mesure, un peu comme le personnage. Et puis ça joue sur le côté un peu « brûlé », comme une photo surexposée. Je pousse les contrastes à fond et je n’y vais pas de main morte avec le fusain. Ça prend du temps, en plus j’utilise le format A3 qui permet une meilleure expression des détails. Je réalise une case en deux heures et une planche en deux ou trois jours.

H: Relisez-vous toujours les Bons à tirer (ndlr : document montrant le rendu de l’ouvrage juste
avant l’impression), comme le laisse penser une photo publiée sur votre page Facebook ?

R: Non, c’est sur proposition de l’éditrice de Melvile. Pour mon premier livre, j’étais catastrophé du rendu de la couleur. Pour Melvile j’étais inquiet. Du coup, on est allé à l’imprimerie à trois heures du matin. C’est pas toujours possible. Cela dépend de la relation avec l’éditeur. Le Lombard (ndlr : son éditeur actuel) imprime en Belgique, ce qui facilite aussi la manœuvre. Bon, l’impression a énormément évoluée. C’est rare qu’il y ait des erreurs. Mais le papier a son importance, Nathalie mon éditrice travaillait en production sur les machines avant, donc c’est elle qui m’a suggéré les types de papiers. On a travaillé ensemble le format et c’est moi qui ait proposé la maquette. On a façonné ce bouquin comme si je l’avais fait avec un éditeur indépendant.

L : Melvile est une BD mais aussi une application numérique, une bande-son et c’est devenu un spectacle. Comment s’est articulé la création de tout ça ?

R : Au départ, il y a trois ans, je voulais faire un livre avec une bande son et un site internet. Je travaillais avec Lucas Chaumière, un réalisateur de disques, qui s’est révélé intéressé par ce projet mais, pour lui, on pouvait aller plus loin. En ajoutant de la vidéo par exemple. A l’époque, c’était le début de la réalité augmentée. J’avais envie de l’utiliser, mais sur internet ce n’était pas pratique. L’idée de l’appli est venue très vite pour rassembler tout ça.

H : Pourquoi créer une bande son avec le livre était si important ?
R : Ça enveloppe. Je travaille beaucoup sur les humeurs. Et puis c’est un peu égoïste de ma part. Comme j’ai toujours fait de la musique, j’ai réuni mes centres d’intérêt pour cette histoire. La musique est vraiment ajustée à l’histoire et au temps de la lecture.

L: J’ai fait les deux expériences : lire d’abord et écouter après, puis les deux en même temps.
L’expérience n’est pas du tout la même. C’est une vraie expérience sensorielle, on est immergé dans la BD.

R : Tant mieux, c’est exactement ce que je voulais. Essayer de partager au mieux l’humeur ou en tous cas le sentiment que j’avais en écrivant. J’espère avoir créé une nouvelle expérience de lecteur. J’espère que ce sera la même chose pour le second tome. J’ai ouvert une porte pour moi. Je me vois mal faire un livre sans musique à présent. Ou alors un livre sur le silence mais c’est trop imbriqué maintenant.

H : Et pour le tome deux, l’application existe-t-elle ?
R : Oui. Mais il fallait aller plus loin. Nous avions besoin d’une vraie valeur ajoutée, même si je déteste ce mot. Et qu’est-ce que demande un lecteur de BD ou de littérature en général ? Pas besoin d’un ersatz de candy crush avec un bûcheron. Quand quelqu’un achète un livre, la dernière chose qu’il a envie de faire c’est de travailler. Ce dont il a envie, c’est plutôt de lire des histoires. C’est ça qu’il va chercher. Et c’est ce qu’on propose. Du coup, la prochaine appli sera basée sur la carte du territoire de Melvile. Une carte de la ville avec des points. Chaque point sera une histoire. Chaque histoire sera une partie de l’âme du territoire, racontée par ses habitants. Ce sera ce qu’on appelle Les Chroniques de Melvile. Nous faisons un montage de dessins filmés et une musique dédiée à chaque histoire, avec une voix. C’est quelque chose qui m’excitait d’avoir un vrai complément. Plus tu racontes ce lieu, plus ce lieu existe.
La chance sur ce tome-ci c’est que l’appli sera compatible avec tous les appareils. C’était vraiment important pour moi car c’était un deuil que la première ne le soit pas. Ce sera aussi sur le site. Même les gens qui n’ont ni smartphone, ni tablette pourront y avoir accès. Même chose pour la musique. Elle sera gratuite.


L : Vous créez donc une identité propre pour ce lieu?
R : oui, il existe quelque part. On peut imaginer, dans un futur proche, inviter des lecteurs à louer ou acheter une maison dans Melvile en racontant l’histoire du lieu. L’idée serait de faire grandir la communauté au fur et à mesure. Il y aurait aussi des lieux de rendez-vous dans la ville, comme un bar ou un chapiteau. On pourrait imaginer une rencontre tous les dimanches à 20h30, par exemple, et des diffusions de captations live régulières. Il y a beaucoup de choses à explorer. Le journal de la ville par exemple, qui apparaît dans la BD, c’est quelque chose auquel le lecteur pourrait participer.

L : Melvile a-t-il été une prise de risque pour votre éditeur Le Lombard ?
R : Oui, complètement. Mon éditrice a dû grillé un de ses jokers. Elle prenait ses fonctions l’année où j’ai signé et j’ai travaillé avec elle parce que c’est la seule qui est revenue vers moi, émue, en me disant « Je veux le faire. Tu peux aller où tu veux, je comprendrai mais je veux le faire ». C’est un rapport très humain. Comme en plus on habite le même quartier, c’est une copine autant que mon éditrice. On fait nos réunions dans un café, on se voit très rarement au bureau. C’est un rapport très honnête et franc. Elle ne me cache pas les difficultés à défendre un projet comme le mien ni les bonnes nouvelles.

L : Comment ça s’est passé pour le budget ?
R : Il n’y avait pas de budget pour la bande son, ni pour l’appli. Nous avons passé beaucoup de temps à essayer de convaincre. Lucas Chaumière et un de ses amis David Lemaire, ont créé la société CLAP pour développer une première application pour la BD Thorgal. En faisant ça, ils ont réussi à décrocher le budget pour Melvile. Il faut toujours convaincre les éditeurs que le numérique est un allié et ne va pas tuer le livre. L’histoire, c’est le livre. C’est comme les films, les trois quarts sont basés sur des bouquins et ne les ont pas tués.

H : On peut s’attendre à un tome trois ? Et à d’autres ?
R : Un tome trois oui. J’ouvre trop de portes dans le tome deux pour m’arrêter là. Le tome trois est censé être le dernier. Les deux premiers sont deux histoires parallèles qui se passent au même moment. Le troisième sera dans la même temporalité mais il y aura aussi des éléments de l’histoire qui se passeront vingt ans plus tard. Dans le dernier volume, on retrouvera la personne qui collecte toutes les chroniques, ce personnage vous l’avez déjà croisé dans le premier volume…

H : Dès l’écriture du premier tome, aviez-vous en tête une suite ?
R : A l’écriture du un, j’avais trois histoires. C’était vraiment un récit choral, avec beaucoup plus de personnages. Quand j’ai présenté ce projet à mon éditrice de l’époque, cela lui semblait trop et elle croyait davantage en l’histoire d’amour de Samuel Beauclair. J’ai donc développé cette partie-là d’abord.

L : En fait ce projet dans sa globalité c’est d’avoir une BD qui rassemble tout ce que vous aimez?
C’est votre manière de travailler. Vous vous mettez au cœur de tout mais n’est-ce pas une énorme prise de risque ?

R : Pas vraiment. Et puis ce projet a évolué au fur et à mesure. On a d’abord monté Melvile sur scène cette année, qui était à la base sous une forme de ciné concert, à la demande d’Angoulême. Jouer la bande annonce mais sans les images, ça me paraissait laisser la BD orpheline. Nous avons été invités à jouer à un festival à Mons. Nous avons eu deux semaines de création pour construire un spectacle basé sur le premier bouquin. La prise de risque est là. J’ai prêté le flanc, au musicien mais surtout au comédien, ce que je ne suis pas. J’ai été guidé par un ami comédien sur ma diction et mon placement. J’apprends des compliments et des erreurs qu’on me renvoie. Le spectacle c’était ma plus grosse prise de risque. Surtout que j’ai une ressemblance avec le personnage.

H : Aviez-vous déjà la volonté de l’interpréter sur scène ?
R : Oui. Par envie et un peu par les circonstances. Le théâtre est une forme d’expérience qui m’a toujours fasciné, comme la scène. Je m’y suis essayé à quinze ans, j’étais très mauvais. Peut-être parce qu’il y a toujours eu quelque chose de narratif dans ce que je fais, même avec mes groupes musicaux. Peut-être ai-je eu envie de rassurer l’adolescent qui s’était pris une claque en réessayant ? Je sais que c’est un métier. Je suis d’ailleurs toujours en phase d’apprentissage. Pour Melvile 2, on va faire quelque chose de plus light sur scène mais ce concept de concert va amener aussi un futur spectacle “Les chroniques de Melvile” dans lequel je travaillerais avec des musiciens et des comédiens. J’ai envie de parler sur scène.

L : Romain, votre métier aujourd’hui quel est-il ?
R : Narrateur, ça englobe tout et ça évite de se retrouver coincé dans une catégorie. Ce que j’aime,
c’est raconter des histoires, peu importe le média.

La bibliothèque d’influences de Romain Renard

En BD, il y a évidemment mon père, Claude Renard, François Schuiten, Moëbius et Taniguchi
J’aime beaucoup l’illustrateur Carl Laarson dont j’avais le poster dans ma chambre. C’est un
romantique de la fin du 19ème, qui a peint la campagne suédoise à l’aquarelle. C’est très doux et ça
m’a beaucoup nourri a posteriori.
J’ai découvert il n’y a pas longtemps, un photographe belge de la fin du 19ème siècle., Léonard
Misonne. Il fait l’inverse de moi, lui il va faire en sorte que la photo ressemble à un dessin. C’est un
des chefs de file du mouvement « Pictorialiste ». Il utilise le charbon pour révéler les détails, ce qui
fait que ça ressemble à du fusain.