La romancière sélectionnée pour le Prix Renaudot avec son 30e ouvrage « Premier Sang » sera en rencontre dédicace ce mercredi 6 octobre 2021 à la librairie Doucet, au Mans (Sarthe) dans le cadre du festival Faites Lire !
PASCAL ITO
Amélie Nothomb, autrice, vient de publier Premier sang . Elle est en dédicace ce mercredi 6 octobre 2021 à la librairie Doucet, au Mans (Sarthe), dans le cadre du festival Faites Lire ! Entretien.
Comment dit-on au revoir, comment fait-on son deuil quand on en est empêché ? Est-ce votre façon à vous de le faire ?
Exactement, mon père est mort aux premiers jours du confinement et je n’ai pas pu me rendre à son enterrement, ce qui constituait pour moi une double peine, celle de le perdre et celle de ne pouvoir lui rendre hommage. Le deuil, mon deuil devenait quasiment impossible.
Est-ce que cette écriture vous a aidé, a permis de mêler vos deux voix ?
Mon projet était démentiel, il s’agissait alors pour moi de ressusciter mon père pour pouvoir lui dire au revoir, d’où l’emploi du « je ». Et finalement, c’est une sorte de symbiose qui s’est opérée.
Mais alors ce héros, votre héros, est-il un père fantasmé ?
Il n’y a rien que j’invente dans ce livre, tous les faits sont réels, la seule chose que j’invente, ce sont ses sentiments, puisque comme beaucoup d’hommes de sa génération, il ne les disait pas. Ça a donc été ma mission de les écrire, puisque c’était un homme très émotif mais dont les sentiments ne transparaissaient que sur son visage. Il fallait mettre des mots et à mon avis, il a éprouvé tous ces sentiments dont le roman parle.
Cette pudeur qui était sienne et dont vous témoignez, était-elle due à son histoire familiale que l’on découvre dans votre roman ?
Oui probablement, notamment sa relation avec sa mère, ma grand-mère. Mais c’est aussi un homme né en 1936. C’était un homme de son époque, qui témoignait peu de ses sentiments, qui ne disait jamais la peur ou l’angoisse.
L’important pour vous résidait-il en l’écriture de cette histoire ou en sa publication, la donner à lire aux autres ?
L’écrire était énorme mais le publier était aussi énorme parce que mon père adorait que je parle de lui publiquement. À partir du moment où Albin Michel a accepté de le publier, j’ai senti que mon père était alors apaisé en moi, qu’il avait besoin que sa fille lui rende hommage ainsi.
Cette charge de porter cette voix, ce destin hors norme d’un homme confronté à ces possibles dernières minutes, c’était quelque chose à exorciser pour vous ?
C’était nécessaire et urgent et en fait c’est, je pense, propre à l’être humain. Proust raconte, dans A la recherche du temps perdu, la mort de la grand-mère et l’héritage de l’histoire, de la personnalité et de la parole qui se fait alors de génération en génération.
En parlant de littérature classique, la scène d’ouverture de Premier Sang rappelle Dostoïevski car elle se fait au moment où votre père aurait pu mourir une première fois. Diplomate, il est envoyé, en 1964, comme consul à Stanleyville au Congo et se retrouve alors d’une prise d’otages qui durera qui mois et qui se terminera par ce moment où votre père fait face à une possible exécution. Il était important de réhabiliter le héros ?
Oui bien évidemment, une scène de peloton d’exécution fait penser à la vie de Dostoïevski et c’était voulu. Et bien sûr, même si, par moments, fouiller dans son passé à lui, dans notre passé à nous, c’était extrêmement difficile, cela a toujours été en fait une jouissance incroyable que de l’écrire et plus encore aujourd’hui que les lecteurs puissent s’en saisissent.